Il peut s’avérer judicieux d’acheter une maison en viager : on ne paie (comptant) qu’une fraction de sa valeur marchande (le « bouquet »), et l’on verse ensuite une rente calculée en fonction de l’espérance de vie du vendeur. Si celui-ci décède plus tôt que prévu, on fait une bonne affaire. Mais s’il meurt trop vite, la vente peut être annulée, comme le rappelle l’histoire suivante.
En 2017, un médecin, Benoît Z, rencontre Céline X, nonagénaire dont l’espérance de vie est de cinq ans et un mois. Le 31 juillet, il propose de lui acheter son appartement en viager, moyennant un bouquet de 250 000 euros et une rente mensuelle de 2 361 euros. Le 23 août, les parties signent une promesse de vente « unilatérale » : Mme X s’engage à vendre, en échange d’un bouquet de 208 000 euros et d’une rente de 3 028 euros, mais M. Z se réserve un délai de réflexion jusqu’au 30 octobre à 16 heures. Le 3 novembre, le notaire de M. Z authentifie la vente, aux conditions prévues le 23 août. Le 9 novembre, Mme X décède d’un cancer du pancréas.
Patrick W, fils et héritier de la défunte, demande l’annulation du contrat. Il fait valoir qu’aux termes de l’article 1975 du code civil, celui-ci n’a pas de valeur si la vendeuse décède, « dans les vingt jours » qui en suivent la signature, de la maladie dont elle était alors atteinte. Or, explique-t-il, « le 3 novembre », date de la vente authentique, sa mère souffrait d’un cancer en phase terminale dont elle est morte, « six jours plus tard ».
« Abus de faiblesse »
L’acheteur réplique que la date à laquelle il faut se référer, pour calculer le délai des vingt jours, est celle à laquelle la vente est devenue « parfaite », en vertu d’un « accord des parties sur la chose et le prix ». Il s’agit, selon lui, du 23 août, date de la conclusion de la promesse de vente, et non du 3 novembre, date du « transfert de propriété ». Il obtient gain de cause en première instance, auprès du tribunal de grande instance de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique).
Le fils fait appel, et son avocat, Me Loïc Rajalu, souligne le fait que cette promesse de vente est devenue caduque le 30 octobre à 16 heures, M. Y n’ayant pas « levé l’option ». C’est donc bien « la nouvelle rencontre des consentements » du 3 novembre qui doit être prise en compte. La cour d’appel de Rennes, qui lui donne raison, le 22 septembre 2021, précise qu’une « promesse unilatérale de vente », du fait qu’elle ne constitue pas une « vente parfaite », ne peut jamais faire courir le délai prévu par le code civil. Ce que valide la Cour de cassation, le 10 novembre (rejet non spécialement motivé 20-20.932).