On est tout d’abord intrigué par les sons, des cliquetis de chaîne, des pleurs d’enfant, la voix d’une femme chantant une berceuse et, de manière régulière, un bruit de vagues fouettant la coque d’un bateau. Puis, sous nos pieds, apparaissent les corps d’hommes, de femmes et d’enfants noirs, allongés sur le sol, nus pour la plupart, serrés les uns contre les autres. Grâce à un spectaculaire dispositif audio et vidéo immersif, imaginé par le Musée d’histoire de Nantes pour son exposition intitulée « L’Abîme », nous voilà embarqués sur la Marie-Séraphique, navire négrier nantais qui participa à la traite atlantique au XVIIIe siècle.
« Le dispositif est volontairement perturbant, explique Krystel Gualdé, directrice scientifique du musée. Beaucoup de visiteurs vont découvrir la réalité de l’esclavage en venant ici. On a conçu l’exposition pour qu’elle intéresse un public large. Le but est de faire évoluer les points de vue et les regards. » Le titre a été choisi en référence au concept développé par le poète martiniquais Edouard Glissant pour évoquer le « gouffre » atlantique menant les esclaves vers les colonies, mais aussi, précise l’historienne, « pour signifier ce qui a été abîmé, ici, de notre humanité ».
Nantes fut le premier port négrier de France. Plus de 500 000 hommes, femmes et enfants achetés sur les côtes africaines ont été envoyés, à bord de navires, dans les colonies françaises d’Amérique afin d’y être vendus et mis en servitude. Après l’abolition de l’esclavage, en 1848, cette période honteuse de l’histoire nantaise fut longtemps tue avant que des historiens s’emparent du sujet.