Le musée des Abattoirs consacre deux expositions au continent : l’une interroge la notion de « transmission » à travers le regard d’artistes femmes ; l’autre rend hommage au magazine « Revue noire ».
C’est l’histoire de la première école d’art d’Afrique de l’Est, fondée en 1937 à Kampala, en Ouganda. La chercheuse Emma Wolukau-Wanambwa (née en Ecosse en 1976 de parents ougandais) a minutieusement documenté les lieux, qui semblent à l’abandon et desquels émergent des sculptures témoignant de leur vocation. Les centaines de photos issues de ce travail sont affichées en mosaïque ; le cadrage se décale légèrement lorsqu’on passe d’un cliché à l’autre, comme dans un film visionné image après image, et des emplacements vides interrompent parfois la narration – séquences effacées ou qui restent à écrire ?
C’est l’histoire d’un chat, tué par son maître et enterré au pied d’un arbre. La fin du conte, sa narratrice l’a oubliée. Filmée par sa petite-fille Nicène Kossentini (née en 1976 en Tunisie), la vieille dame tente de se rappeler… L’œuvre, touchante, fait de ces trous de mémoire le symbole d’un savoir menacé de disparition. Pour appuyer son propos, l’artiste a disposé à côté du film un texte du penseur arabe Ibn Khaldoun (1332-1406) calligraphié à l’encre violette et que des gouttes d’eau ont commencé à diluer, le rendant illisible.
C’est enfin l’histoire de deux chikha, ces chanteuses qui se transmettent de génération en génération l’art de l’aïta, un genre traditionnel marocain. Meriem Bennani (née en 1988 au Maroc) a filmé leur rencontre et les malentendus que leur différence d’âge engendre malgré le partage d’une même tradition. Un docufiction plein d’humour grâce à l’ajout d’effets graphiques comparables à ceux d’applications mobiles telles que Snapchat, mais qui pose la question de la survie de la culture orale dans un environnement technologique globalisé.
Wikipedia et JavaScript
Ces œuvres sont au cœur de « Au-delà des apparences. Il était une fois, il sera une fois », l’une des deux expositions sur l’Afrique que le musée des Abattoirs, à Toulouse, présente jusqu’au 29 août et qui questionnent toutes deux les notions de transmission du patrimoine africain : celle-ci à travers le regard de femmes artistes qui s’interrogent « sur ce qu’on transmet et sur ce qu’on perd », explique Annabelle Ténèze, la directrice des lieux ; l’autre à travers l’héritage de Revue noire, un magazine qui, de 1991 à 2000, permit au continent de se faire une place dans le paysage mondial de l’art contemporain.
« Dans le cadre de la saison culturelle Africa2020, N’Goné Fall [sa commissaire générale] nous a proposé de travailler avec des commissaires d’exposition africains », poursuit Annabelle Ténèze. Pour « Au-delà des apparences », elle a ainsi collaboré avec la Canado-Ethiopienne Missla Libsekal, fondatrice de la plate-forme numérique Another Africa. Ensemble, elles ont choisi de mettre à l’honneur des artistes femmes, « car si l’Afrique est un des continents les moins regardés, les femmes sont aussi le genre le moins exposé ».
Sont donc ici rassemblées neuf artistes qui s’interrogent sur la manière dont nous transmettons « nos connaissances, nos pensées, nos souvenirs dans un monde transformé » par la mondialisation. Comme la plasticienne d’origine nigériane Fatimah Tuggar, dont un faux spot publicitaire projeté à l’intérieur d’une cabine d’avion dénonce les inégalités de déplacement à l’échelle mondiale. « Cette œuvre date de 2002 mais est toujours d’actualité, observe Annabelle Ténèze. Avec les confinements liés au Covid-19, le monde entier a découvert l’impossibilité de voyager. C’est pourquoi nous avons choisi de la placer au début de l’exposition. »
Un propos qui fait écho au travail de l’Egyptienne Amira Hanafi, qui a collecté des données sur Wikipedia et utilisé le langage de programmation JavaScript pour composer un poème aléatoire qui brise les préjugés sur les migrations en générant des phrases associant pays et nationalités. Où l’on apprend notamment que, oui, « il y a des Est-Timorais au Soudan du Sud ».